Enfants, adolescents, éducation alimentaire
« Quand je me retrouve seule et que je déprime un peu, j’adore me faire un bol de chocolat chaud, ça me rappelle quand j’étais petite » Sophie, 16 ans
« Ma grand-mère, elle laisse les aliments longtemps mijoter, ses sauces sont géniales… » Megane, 15 ans
« Je suis d’accord avec le fait qu’il faut manger de tout, mais moi je ne le fais pas… » Salsabilla, 15 ans
« 5 fruits et légumes, y’a tout dedans… dans les légumes il n’y a pas la même chose… tu manges 5 pommes c’est pas comme si tu mangeais 5 poireaux, je ne sais pas des fruits sucrés ça existe, la banane c’est calorique, c’est sucré, si j’en prends 5 par jour, ça veut pas dire que… ou un avocat c’est hyper gras…moi en me levant le matin, je ne pense pas “combien de pommes ou de bananes il faudrait que je mange aujourd’hui ?! » Louis, 16 ans
« Ce qui est bon, c’est que tu peux manger des pâtes où tu veux, même en marchant » Simon 14 ans
« En général toute la famille mange la même chose, mais quand il y a des plats trop bizarres, on fait un autre plat pour les enfants. Il y a des trucs, je ne comprends pas le goût, je n’accroche pas. C’est ce que j’appelle le repas des vieux, c’est ce qu’ils mangent eux. » Daravanh, 13 ans
Glose Alimados – Projet ANR – PNRA 2007-2010 (OCHA)
Plusieurs recherches récentes affinent la fabrication des goûts in utero et l’existence de véritables plaisirs alimentaires dès les premiers mois d’un jeune enfant. Bien évidemment rien d’inné, de l’acquis, culturellement, socialement et…sur le plan de l’édification sensorielle. Tous les enfants puis les adolescents ne sont pas placés à la même enseigne devant l’éducation alimentaire et la connaissance de gammes gustatives ou de cuisines différentes.
Apprendre à manger c’est aussi apprendre son milieu, sa culture et refuser de manger également : Marie-Christine Clément, nous décrit ce refus de partager le repas familial dans la littérature :
« Anne Desbaresdes vient de refuser de se servir. Le plat cependant reste encore devant elle, un temps très court, mais celui du scandale. Elle lève la main, comme il lui fut appris, pour réitérer son refus. On n’insiste plus. Autour d’elle, à table, le silence s’est fait. » M. Duras, Moderato Cantabile, Ed. de Minuit, 1958, chap. VII, p. 135. « Le refus de la nourriture, le refus du plat fait éclater au grand jour sa jusqu’alors secrète mais irrémédiable décision. Refuser de manger, c’est dans ce cas refuser d’obtempérer au code social et marquer, proclamer, sa différence. »
Outre les variations individuelles des compétences sensorielles, les appréciations gustatives dépendent également de la catégorie socio-professionnelle des parents, qui influence le répertoire culinaire des adolescents mais aussi leur symbolique alimentaire. Les différentes études menées par l’OCHA (enquête OCHA / Claude Fischler 1996 – Ocha/Sofres 2002) notamment autour des enfants et du repas familial montre un attachement réel à ce moment partagé et surtout une sorte de mise en scène de la transmission gustative, culinaire par ces menus du quotidien.
L’alimentation enfantine puis adolescente est plus encore qu’à l’âge adulte « sous influences » : ces influences sont issues de la culture familiale, du cercle familial, de l’environnement, et au fur et à mesure que l’on quitte l’enfance pour se rapprocher de l’adolescence, des médias, des pairs, des copains, de ceux avec qui on partage codes, langage, goûts musicaux, manière d’être au monde et avec qui partager un sandwich, un repas, une friandise.
Le projet AlimAdos ( OCHA- CNRS- Université de Strasbourg et Université de la Méditerranée ) a montré, entre autres résultats de ce travail sur les pratiques alimentaires réelles que parler de malbouffe à propos des adolescents, c’est s’inscrire dans la tendance à « pathologiser » ce groupe d’âge et à faire des jeunes des sujets à risque, courant des périls et les faisant courir à la société à laquelle ils appartiennent ; que ces périls soient le surpoids, l’uniformisation et la globalisation des comportements alimentaires, la fin des traditions et la faillite de la transmission… « Les adolescents mangent mal », c’est un stéréotype d’adultes mais c’est aussi ce que les ados disent d’eux-mêmes, reprenant à leur compte les idées reçues des adultes à leur sujet.
Alors que l’observation fine sur le terrain permet de constater l’omniprésence de la dimension nutritionnelle dans les propos et les comportements des adolescents, de parler d’une gastronomie adolescente et de comprendre comment les aliments construisent non seulement les corps mais aussi les identités et servent parfois à marquer des frontières ! D’autre part, les adolescents revendiquent leur droit au plaisir alimentaire, une revendication qu’il leur paraît important d’exprimer en réponse à tous les messages négatifs qu’ils entendent sur l’alimentation des jeunes et à tous les messages de restriction.